Une tradition inédite et sans pareille
10 APR 2018
L’histoire du Tournoi des Maîtres est riche en combats épiques et champions hors du commun. Les protagonistes sont souvent des vedettes et chacun connaît bien son rôle, Les héros gagnent et les méchants retournent dans l’ombre. Sauf que le scénario n’est pas toujours respecté.
Par Peter Mumford
Chaque année, alors que s’amorce la télédiffusion du Masters sur CBS, l’animateur Jim Nantz dit: «Bienvenue au Masters, une tradition sans pareille.»
Nants n’a jamais expliqué le sens de son mot d’ouverture et la plupart des gens ne s’y arrêtent pas, sauf pour s’en moquer. Mais une des raisons pour lesquelles ça sonne juste est que le Tournoi des Maîtres est unique – aucun autre tournoi de golf majeur ne se joue sur le même parcours chaque année. C’est le premier championnat majeur, celui qui lance la saison de golf printanier, et son histoire n’a pas d’équivalent au golf professionnel.
Le cadre est relativement intime et les amateurs de golf connaissent chaque détail du parcours de l’Augusta National – où on peut frapper de bons coups et où c’est impossible – même si la plupart n’ont jamais mis les pieds sur le terrain. Tout le monde sait ce que ça prend pour gagner et sent inexplicablement qui le mérite.
À la différence de la plupart des autres terrains de golf, le National récompense les excellents coups mais punit sévèrement les mauvais, parfois même les coups moyens qui s’oublieraient rapidement sur un parcours plus tolérant. Personne ne remporte le Masters par chance. Chaque champion endosse un veston vert unique le dimanche soir parce qu’il a mieux frappé sa balle que tous les autres.
La légende nous rappelle la pose de balle miraculeuse de Fred Couples sur la berge de Rae’s Creek au Tournoi des Maîtres 1992. N’était-ce pas de la chance? Bien sûr, mais quel champion avouera qu’il n’a pas besoin d’un peu de chance? Couples a remporté ce tournoi parce qu’il a mieux joué que le deuxième, Raymond Floyd, et tous les autres.
Fred Couples était et demeure l’un des golfeurs les plus populaires de tous les temps. Sa victoire au Masters était bien méritée, parce que «tout le monde aime Freddie» et aussi parce que peu d’amateurs de golf ressentaient la même sensation chaleureuse à l’égard de Ray Floyd. Raymond était un assassin glacial. Il pouvait vous paralyser de son regard glacé ou vous planter un poignard dans le cœur en calant sa balle au bon moment, à partir de la marge.
Année après année, le Tournoi des Maîtres nous offre cette distribution hollywoodienne de personnages – héros et méchants, bons gars et mauvais gars – dont les fans savent exactement qui est qui.
Cette année, Patrick Reed incarnait l’adversaire du protagoniste Rory McIlroy quand le soleil s’est levé, dimanche matin, à Augusta.
C’était censé être l’année de l’Irlandais, ou celle du retour triomphal de Tiger, ou encore un retour de jeunesse pour Phil, ou bien Jordan, encore une fois. Aussi tard qu’en soirée, dimanche, malgré son avance de trois coups, Reed n’était donné favori que par une minorité. En fait, peu de gens voulaient le voir gagner.
Pouvait-il réellement réussir tous ses coups? Il allait sûrement trébucher et Rory pourrait enfin inscrire son propre Grand Chelem. Les héros ne perdent pas à Augusta, n’est-ce pas?
Mais ou, ça arrive. Ray Floyd a gagné. Sergio Garcia aussi. Bubba Watson deux fois. Nick Faldo à trois reprises.
Vous avez probablement lu toutes sortes d’histoires sur Reed. C’est un gars susceptible, un loup solitaire. Il ne fait pas partie de la bande.
C’est peut-être vrai, mais on ne peut nier que ce gars a du talent à revendre. Et qu’il sait se concentrer. Aucun double bogey de la semaine, jamais deux bogeys consécutifs. À Augusta!
La balle de golf ne connaît pas la personnalité du joueur, elle se fiche de ses problèmes et de ce que pensent les autres de lui. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’on vient de la frapper très fort, et si l’angle de face du bâton et la trajectoire de l’élan sont bien alignés, alors elle ira exactement là où on voulait qu’elle aille. Patrick Reed a fait du bon boulot, il a envoyé la balle où il voulait presque à chaque coup.
Par ailleurs, les héros de l’histoire ont obtenu des résultats mitigés. McIlroy a raté un roulé de quatre pieds qui lui aurait donné l’aigle au 2e trou et l’égalité en tête du tableau; il a disparu de la course. Spieth a fait un bel effort mais une branche d’arbre au dernier trou a gâché sa chance de revêtir un autre veston vert. Rickie Fowler est resté sous le radar durant le neuf d’aller, puis s’est repris au retour pour mettre de la pression sur Reed. L’ovation qui a salué le superbe oiselet de Rickie au 18e a fait vibrer les conifères d’Augusta et signalé à Reed qu’il n’avait plus aucune marge d’erreur. Mais ce dernier n’en avait pas besoin.
Il y a quelque chose d’étrange à propos des méchants dans ces scénarios. Sergio Garcia s’est fait huer sans pitié lors de l’Omnium des États-Unis à Bethpage Black parce qu’il n’arrêtait pas de changer sa prise de bâton à chaque coup. Il ne cédait pas sa place au podium des geignards du circuit, mais il était le plus jeune. Il manquait souvent de confiance en soi et pourtant, il a mené les Européens à la victoire en Coupe Ryder. Rien pour le rendre sympathique aux yeux des amateurs américains. Mais le temps guérit les blessures et l’année dernière, quand il est arrivé à Augusta, il était le favori des cœurs, en quête d’un premier titre majeur après avoir payé son dû pendant trop longtemps. Sa victoire a été bien accueillie.
Nick Faldo jouait comme un automate, un homme mécanique sans personnalité ni sens de l’humour, à la concentration intense. Il n’était aimé ni des joueurs ni des amateurs. Quand il a défait Greg Norman en 1996 pour remporter un troisième veston vert, on aurait pu croire que c’était correct, car les anciens champions sont respectés à Augusta. Mais non, c’est Greg Norman qui était le héros, et Faldo encore plus méchant pour avoir enlevé à Norman ce qu’il désirait le plus.
Aujourd’hui, Faldo est le coanimateur à la fois humble et enjoué du Masters sur CBS et Sergio est un ancien champion au cœur léger qui est capable de rire de lui-même après avoir joué 13 coups sur le 15e trou. Ils ne sont plus les méchants du Masters. Le temps tourne peut-être plus lentement à l’Augusta National, mais il tourne assurément. N’est-ce pas ainsi que naissent les traditions?
Reed est déjà populaire en tant que Capitaine America à la Coupe Ryder, mais apparemment, ça ne fait pas le poids à Augusta. Dimanche, les spectateurs du Tournoi des Maîtres l’ont poliment applaudi quand il s’est présenté au premier tertre, alors qu’ils ont ovationné son opposant européen. Ils connaissaient le scénario de la journée, mais comme on l’a appris au fil du temps, Patrick Reed ne s’intéresse pas trop à ce que pensent les gens.
Peter Mumford est rédacteur en chef de Fairways Magazine. Suivez-le sur Twitter @FairwaysMag.