TIGER DIVISE TOUJOURS
01 MAY 2019
Par Peter Mumford
Quand Tiger Woods a lâché un grand cri après avoir calé son dernier coup roulé au Tournoi des Maîtres le mois dernier pour remporter son cinquième veston vert et son 15e tournoi majeur en carrière, il a marqué d’un point d’exclamation le cours d’une des histoires les plus fascinantes du golf.
Bien des gens ont déclaré que c’était le plus grand retour au zénith du monde sportif. D’autres ont affirmé qu’il s’agissait du coup de fouet tant attendu dont le golf avait tellement besoin. Pour ses armées de fervents admirateurs, la victoire de leur idole a été une surdose bienvenue d’adrénaline et la preuve, si besoin était, que le Tigre était, est et sera toujours le «Plus Grand de Tous les Temps».
Ma première réaction, quand j’ai vu que Woods allait inévitablement gagner le Masters, a été «Bon, v’là que ça recommence.»
Bienvenue à la Tigermanie 3.0
Depuis son arrivée avec un retentissant «Bonjour le monde!» sur la scène du golf professionnel, en passant par ses multiples titre majeurs et ses douzaines de victoires, jusqu’à ses aventures extraconjugales, Tiger a été traité comme une rock star. Même s’il doit se battre pour préserver sa vie privée, ses fans n’en ont jamais assez. Il voudrait être Greta Garbo, ils veulent qu’il soit un Kardashian.
D’une façon ou d’une autre, les médias n’en ont que pour le Tigre, mur à mur. Son retour à l’avant-plan est déjà toute une histoire en soi, et s’il remporte le prochain championnat majeur, ce sera énorme. Mais le problème n’est pas l’attention qu’il obtient en gagnant, c’est celle qu’il monopolise quand il ne joue même pas, qu’il ne fait rien de particulier. Les réseaux télé nous le montrent en train de se balader ou de manger un sandwich, au lieu de diffuser des images d’un autre joueur en train de réussir un coup.
En tant que journaliste de golf, je pourrais bien monter dans le train et n’écrire que des articles à propos de Tiger, mais il y a tellement d’autres bonnes histoires à raconter. Depuis quatre ans, le golf professionnel est passionnant, avec sa douzaine de joueurs d’élite aux personnalités si différentes qui sont au sommet de leur art. Quand Tiger a recommencé à jouer régulièrement en 2018, et surtout après sa victoire au Championnat du Circuit l’automne dernier, il était un de ceux-là. Maintenant, depuis sa victoire au Masters, on ne veut plus parler que du Tigre.
Le plus grand retour de tous les temps? Peut-être…
Je ne suis même pas certain que ce soit le plus remarquable retour de Tiger lui-même. Après quatre chirurgies au dos, une arrestation gênante et un passage à vide où il ne savait pas s’il allait rejouer au golf un jour, Tiger revient au jeu, se rend en finale de quelques tournois, remporte le Championnat du Circuit, puis le Tournoi des Maîtres. Une bonne histoire qui fera probablement l’objet d’un film un de ces jours.
Est-ce une meilleure histoire que celle du meilleur golfeur au monde qui, au faîte de sa gloire, s’autodétruit dans un gâchis du jour de l’Action de Grâces, se déshonore ainsi que sa famille, divorce et tombe dans le désespoir, puis qui trouve la détermination nécessaire pour surmonter l’humiliation publique et inscrire trois victoires en 2012 et cinq autres en 2013?
Est-ce mieux que l’histoire du meilleur golfeur au monde qui entre en collision avec un autobus au risque de ne plus jamais remarcher et qui revient au jeu 18 mois plus tard pour remporter l’Omnium des États-Unis?
Ce sont toutes de bonnes histoires. Personnellement, je pense que le retour mental de Tiger en 2012 était un plus grand saut d’obstacle que son rétablissement physique en 2018. Une fois qu’il a senti que son dos était en forme pour le jeu, plus rien ne pouvait laisser croire qu’il ne gagnerait plus de tournoi, même un majeur. Et même si les admirateurs de Ben Hogan ne sont pas d’accord, Tiger mène au nombre des retours, par un compte de 2 à 1.
Tiger n’est pas un choix binaire
Il y a au moins 200 golfeurs privilégiés sur le PGA TOUR. Certains entraînent derrière eux toute une galerie d’admirateurs. D’autres se comptent chanceux d’être entourés de leur famille et de quelques amis pour les soutenir. Personne n’a autant de fans que Tiger Woods. Je ne suis pas un de ceux-là.
Eh, oui! C’est dit: je NE suis PAS un maniaque du Tigre.
Ne vous méprenez pas, je respecte énormément l’habileté de Tiger et sa grande capacité de gagner. C’est juste que je ne suis pas un admirateur du Tigre de la même manière que je ne suis pas un fan des Bruins de Boston. Je préfère encourager les Maple Leafs de Toronto.
Ma prise de position est assez normale dans le monde du sport. On prend pour une équipe ou une autre, un joueur ou un autre. Mais le fait qu’on admire un joueur ne nous fait pas nécessairement détester tous les autres, c’est simplement une question de préférence. Si vous appuyez Jordan Spieth plutôt que Justin Thomas, personne ne va vous accuser de haïr Thomas.
C’est quelque chose que ne semblent pas comprendre les fous du Tigre. On dirait qu’ils pensent que, si vous n’êtes pas de leur côté, vous êtes contre eux. Dans le monde du Tigre, il n’y a que des admirateurs et des haïsseurs.
Ce qui reflète le style qu’employait Tiger pour remporter autant de championnats. Il jouait comme pour régler ses comptes, avec rage. Son style de jeu qui ne laissait aucune chance à l’adversaire témoignait d’une attitude d’assiégé, seul contre le monde entier. Et il y a bien des gens qui aimaient ça.
Pas moi. Arnold Palmer se défendait aussi fort que quiconque, mais ne donnait jamais l’impression qu’il allait vous grimper dessus pour redescendre de l’autre côté en laissant des traces de crampons dans votre visage. Il était toujours courtois et, comme Bobby Jones, savait se montrer généreux dans la victoire. J’aime ça. Quelques joueurs, aujourd’hui, font preuve d’un même esprit sportif, notamment Jordan Spieth, Jason Day, Rory McIlroy et Rickie Fowler. Je préfère applaudir ceux-là.
Tiger en quête de son trône
Toute sa vie, Tiger a couru après l’immortalité au golf. Quand il n’était encore qu’un jeune gringalet faisant ses débuts sur le Circuit de la PGA, il détenait déjà trois titres amateurs des États-Unis, en plus de ses trois titres juniors. Au niveau amateur, ça le plaçait au-dessus de tous les autres, à l’exception de Bobby Jones, mais ce dernier appartenait au passé. Tiger avait pour objectif de devenir le meilleur de tous les temps, amateurs et professionnels confondus, et surtout de battre le record de 18 titres majeurs détenu par Jack Nicklaus.
En accumulant les victoires sur le PGA TOUR, alors qu’il commençait à dépasser presque toutes les légendes du golf qui l’avaient précédé, seul Phil Mickelson pouvait encore prétendre à le rejoindre, et celui-ci était son seul ennemi digne de ce nom. Quelques prétendants se sont présentés au fil des ans, mais Tiger a eu tôt fait de les éliminer comme un boxeur qui abat ses partenaires d’entraînement. Le réel combat du Tigre n’a jamais été contre les autres golfeurs, cependant. Il s’est toujours battu contre l’histoire.
Je suis un admirateur de Nicklaus et ce, depuis ma petite enfance. La quête de Tiger pour les records de Jack fait sans nul doute partie de ma préférence pour ses adversaires. Évidemment, Jack n’est plus sur le terrain pour enrichir sa légende, mais le fait d’appuyer les autres est ma façon de lui rendre hommage quand Tiger – ou quiconque – menace les records de Jack.
Tiger détient actuellement quasiment tous les records du golf professionnel. Il ne lui en manque que deux: nombre total de titres majeurs et nombre total de victoires. Le prochain gain du Tigre, qui est presque assuré, sera son 82e sur le PGA TOUR et le mettra sur un pied d’égalité avec Sam Snead. Si Tiger reste en santé, il est certain de surpasser Snead et son nombre de victoires en carrière pourrait bien approcher la centaine.
L’autre grand jalon de carrière de Woods est celui qu’il convoite le plus: battre le record de 18 victoires majeures de Jack Nicklaus.
Ça ne sera pas facile. Quand il a récolté ses premiers 14 titres majeurs, Tiger dominait les championnats par autant que 12 et 15 coups. Les autres joueurs étaient intimidés, ils s’écrasaient sous son regard glacial, incapables de supporter la pression.
Je ne crois pas que les joueurs d’élite, aujourd’hui, ont peur de Tiger Woods. McIlroy a déjà quatre titres majeurs à son actif, Spieth et Koepka en ont trois chacun, et au moins une demi-douzaine d’autres en détiennent au moins un, sont champions de circuit ou trônent au sommet des gains monétaires. Ils respectent tous le Tigre, mais sont peu enclins à fondre dans le feu de l’action.
D’aucuns diront que Koepka, Molinari et Johnson ont fondu au 12e trou d’Augusta, alors que Tiger gardait toute sa puissance. Mais Tiger a plutôt joué d’intelligence et de patience. Les autres ont fait des erreurs, personne ne s’est aplati devant lui.
Son triomphe d’avril à Augusta est le seul majeur que Tiger a remporté sans mener au tableau après 54 trous. Voilà peut-être une nouvelle corde à son arc: les autres doivent maintenant s’inquiéter de le voir arriver par derrière, plutôt que d’essayer de le rattraper. Est-ce un avantage qu’il n’avait pas avant?
Les joueurs devront aussi trouver une façon de faire face au nouveau Tigre souriant et amical. Une chose à laquelle ils ne sont pas habitués. Ses admirateurs adorent ça; la plupart seraient même contents de le voir souffler des baisers à ses concurrents, tant qu’il gagne. Personnellement, n’ayant jamais aimé le côté féroce du Tigre, c’était plus facile pour moi de prendre contre lui. Le Tigre gentil me déroute, moi aussi.
Tout compte fait, je suis heureux de voir Tiger de retour dans le peloton. Je ne vais pas le supporter pour autant, mais sa présence est bonne pour le golf et nous procurera de belles manchettes pour quelques années encore. Pour ce qui est de la Tigermanie, il va falloir que j’apprenne à vivre avec.
Peter Mumford est le rédacteur en chef de Fairways Magazine. Suivez-le sur Twitter @FairwaysMag