Le pari golfique
27 JUN 2018
Par Peter Mumford
Quand on entend les mots golf et pari dans une même phrase, on pense surtout aux petits paris du samedi entre amis ou aux enjeux de la Soirée des hommes.
Et c’est bien ce que Golf Canada espère, parce que, si vous envisagez parier gros sur un tournoi garni d’une bourse ou faire grimper considérablement les mises en réseau mutuel, cela déplaît énormément aux gens de la fédération sportive. Pas qu’ils en aient contre les petits paris amicaux, de temps à autre, mais il faut que ça reste amical et petit.
Le golf et les paris se marient bien, comme le steak et la patate, et sont inséparables depuis qu’Angus et Struan frappaient leurs balles de cuir et de plumes sur les Highlands d’Écosse il y a plusieurs siècles. On ne s’étonnerait même pas d’apprendre qu’Angus et Struan pariaient régulièrement une pinte ou deux de bière lors de leurs matchs amicaux du samedi, et que les habitués de la taverne locale misaient aussi une ou deux livres sur l’issue du tournoi hebdomadaire.
Et à partir de là, la question des paris devient trouble.
Tant que la gageure se fait entre participants, ça ne dérange personne. Mais quand des tierces parties ont le droit de parier, et sont même encouragés à miser sur les résultats d’une joute par le truchement d’entreprises spécialisées comme les casinos, les preneurs aux livres et les salons de pari, alors le risque de tricherie, voire d’altération de l’issue d’un match, commence à poindre. Et c’est là que les scandales menacent.
Jusqu’ici, le golf est un des rares sports majeurs qui ait été relativement épargné au chapitre des débâcles liées aux paris. On peut parier légalement sur les tournois professionnels depuis fort longtemps au Royaume-Uni. Les casions et preneurs aux livres de Las Vegas cotent les tournois du Circuit de la PGA chaque semaine. Le fait qu’aucun scandale ne se soit encore produit est sans doute dû à la modestie des sommes en jeu, comparativement aux mises placées sur certains autres sports.
Mais cela va peut-être changer.
En mai dernier, la Cour suprême des États-Unis a abrogé une loi interdisant les paris sportifs dans la plupart des États, ce qui ouvre la voie à certains de ceux-ci pour qu’ils légalisent cette activité lucrative et à ce jour, 32 États ont signalé leur intention de le faire.
Le Commissaire du PGA TOUR Jay Monahan s’est déclaré fortement en faveur de la décision du tribunal, faisant savoir que cela aurait un effet positif sur le golf. Il n’a pas encore précisé comment le circuit pourrait profiter de la manne, mais l’on a évoqué le concept d’un «droit d’intégrité»: en échange de la protection qu’assurerait le PGA TOUR à ses membres contre toute influence indue, le circuit récolterait 1% de la valeur des mises hebdomadaires.
Ce 1% pourrait totaliser des sommes considérables si la manie du pari s’emparait des amateurs de golf comme elle l’a fait dans d’autres sports. Monahan, s’inspirant de l’ancien commissaire Tim Finchem, a affirmé que le pari légal «augmenterait la mobilisation des amateurs et aiderait à l’expansion du golf partout dans le monde». Autrement dit, ça va rapporter gros au PGA TOUR et s’il s’avère qu’un plus grand nombre de gens regardent le golf ou y jouent, tant mieux!
Il ne fait aucun doute que les paris vont stimuler l’intérêt des amateurs. On n’a qu’à voir la popularité des ligues virtuelles de football, de baseball et de basketball sur l’Internet pour s’en rendre compte. Et que dire des paris parallèles ou ponctuels offerts à chaque compétition? Mais la question est de savoir si cela va attirer davantage d’amateurs, ou simplement accrocher davantage ceux qui misent déjà sur le golf?
Les détracteurs du pari sportif légalisé en général, et des paris sur le golf en particulier, s’inquiètent des enjeux ponctuels qui n’ont rien à voir avec le résultat final. Là, le risque de malversations est évident. Quand un joueur n’est clairement plus dans la course à la victoire, ce serait facile de l’inciter à rater un vert ou un coup roulé pour quelques dollars.
On croit que ça ne pourrait pas arriver sur le PGA TOUR, car la plupart des joueurs du circuit sont déjà multimillionnaires, mais la légalisation du pari sportif s’applique à tous les niveaux du sport professionnel et donc, les circuits Web.com, Mackenzie et latino-américain sont des cibles faciles car les golfeurs y gagnent beaucoup moins d’argent. Un joueur au bas du tableau pourrait être tenté de se faire quelques dollars sous la table en participant à un pari parallèle.
Au sein du PGA TOUR, on affirme vouloir limiter la variété des paris autorisés, mais une fois le chat sorti du sac, qui sait quel contrôle le circuit parviendra à exercer? À la NFL, on dit ne pas aimer tous ces paris farfelus qui se font autour du Super Bowl, comme celui sur le vainqueur du pile ou face, ou celui sur la première équipe à perdre possession du ballon. Mais tous ces paris stimulent la passion des amateurs et enrichissent peut-être la NFL, aussi.
À n’en pas douter, la perspective de gros bénéfices assurés l’emportera sur le risque de ternir l’image du PGA TOUR, et le pari sportif sur le golf professionnel va décoller comme un missile de Dustin Johnson. Ironiquement, aucun spectateur ou amateur n’a réclamé cette mesure, elle est plutôt «vendue» par les promoteurs du pari sportif et les États qui cherchent à s’enrichir comme le Nevada le fait depuis des décennies.
Est-ce que cela va avoir un effet sur l’engagement des amateurs de golf envers le Circuit de la PGA? Vont-ils devenir des maniaques de statistiques? Peut-être bien que la possibilité de miser quelques dollars sur l’éventualité que Tiger Woods va rater une allée ou que Jordan Spieth va caler un roulé de 20 pieds génèrera davantage d’intérêt chez certains et fera grimper les cotes d’écoute, qui sait?
Personnellement, j’ai assez de difficulté à suivre les faits et gestes de chacun en tournoi, et encore plus à connaître leurs statistiques saisonnières, sans compter les sommes pariées sur toutes les issues possibles… Je vais me contenter de mon pari Nassau à 2$, et merci bien!
Peter Mumford est rédacteur en chef de Fairways Magazine. Suivez-le sur Twitter @FairwaysMag.